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DIRECTIVE CSRD : la transposition en droit français
07 décembre 2023
C’est fait, la CSRD (Corporate sustainability reporting directive) a été transposée en droit français et est publiée au JO depuis le 7 décembre 2023.
Quels objectifs et nouvelles obligations ? Quelles incidences pour les entreprises françaises ? Comment se préparer à la production du rapport de durabilité ?
Jean-Louis MORAND, Directeur Général adjoint du Groupe Qualiconsult, très impliqué dans divers groupes de travail autour de cette transposition en droit français, nous apporte son éclairage inédit sur cette nouvelle loi.
Quelle a été votre implication dans la mise en place de la directive CSRD en France ?
J’ai commencé à travailler sur le sujet en janvier 2023 à la demande de Filiance. Le Haut Conseil du Commissariat aux Comptes (H3C) était alors à la recherche de partenaires pour rendre un avis technique sur la transposition de la directive en droit français. Au regard de ma formation initiale d’expert-comptable/commissaire aux comptes et de ma bonne connaissance du secteur de l’environnement, Groupe Qualiconsult m’a demandé de prendre en main ce sujet.
Nous avons constitué au sein de Filiance un groupe de travail de plus de 15 personnes dédiées aux sujets CSRD intégrant des représentant du groupe A de Filiance (Bureau Veritas, SGS, Apave, Socotec, Dekra, AFNOR, Groupe Qualiconsult) ainsi que les cabinets DS Avocats et De St Front.
Mr Alain JOUNOT (Responsable du département RSE de l’AFNOR) et moi-même avons été choisis pour représenter Filiance auprès du H3C.
Un travail considérable a été réalisé dans un délai record sous l’égide du H3C. Objectif : publier un avis technique, sans attendre la transposition de la CSRD, afin de permettre aux futurs auditeurs d’appréhender les travaux à mettre en œuvre.
Cet avis a été publié en juin 2023 et traduit en anglais pour servir de référence à d’autres régulateurs et acteurs dans les autres pays européens.
Durant l’été 2023, nous avons participé, sous l’égide de Filiance, à des propositions d’amendements au projet de texte de loi de la transposition. Nous avons activement pris part à des réunions au ministère de la Justice (Direction des affaires civiles et du sceau) ainsi qu’au ministère des Finances.
Puis, au cours de l’automne, nous avons œuvré à l’établissement du programme de formation des premiers auditeurs en durabilité.
Que va changer l’arrivée de la directive CSRD pour les entreprises françaises ?
Énormément de choses, à mon avis.
D’abord au regard du nombre d’entreprises concernées. Contrairement à la DPEF qui ne concernait que les entreprises de plus de 500 salariés, la CSRD s’appliquera pour un nombre plus important d’entreprises. 50 000 entreprises sont concernées au niveau européen. Et au-delà des entreprises obligatoirement soumises à la CSRD, il faut prendre en compte l’effet « cascade » que ces « leaders » (gros donneurs d’ordre le plus souvent) vont provoquer au sein des entreprises de leur propre chaîne de valeur. Avec cette nouvelle obligation, la prise en compte des sujets de durabilité va se généraliser à l’ensemble des acteurs économiques à court et moyen terme, qu’ils soient soumis ou non à la CSRD.
Ensuite, parce que cette nouvelle loi impose un cadre homogène à l’échelle européenne. La CSRD, ce sont 12 normes (les ESRS : European Sustainability Reporting Standards), très complètes sur les aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance qui ont été publiées fin juillet 2023 et qui seront opposables dans tous les pays européens en même temps, sans nécessité de transposition.
Enfin, parce que le rapport de durabilité établi par l’entreprise sera désormais assujetti à un contrôle organisé par la loi. Pour être schématique, l’auditeur en durabilité auditera et certifiera le rapport de durabilité établi par l’entreprise, un peu comme le commissaire aux comptes certifie les comptes de l’entreprise.
Qui pourra réaliser ce contrôle ?
Ce contrôle pourra être établi par un commissaire aux comptes qui devra remplir des conditions particulières fixées par la loi ou par un prestataire de services en assurance indépendant (PSAI) dont les conditions d’exercice sont fixées elles aussi par la loi.
Ces contrôleurs ne pourront exercer des contrôles que si, et seulement si, ils sont inscrits au H3C.
L’inscription au H3C suppose que l’auditeur remplisse les conditions suivantes :
- Être déjà inscrit en qualité de Commissaire aux Comptes
Ou
- Être salarié, dirigeant ou associé d’un organisme tiers indépendant (OTI) qui est accrédité par le COFRAC suivant la norme ISO 17 029.
Et dans les deux cas précédents avoir suivi une formation de 90h dans le cadre du régime de la clause dite du « grand-père ». Cette formation est sanctionnée par un contrôle de connaissances.
Les personnes issues de nos métiers de TIC (Testing, Inspection, Certification), les avocats et les experts comptables pourront constituer des OTI.
Le contrôle effectué par l’auditeur sera du même niveau d’exigence que le contrôle des commissaires aux comptes, en application de la directive.
Il s’agit du plus haut standard d’exigence en termes d’audit reconnu par les marchés et instances de régulations internationales en matière financière.
Pour les entreprises françaises qui seront auditées, je rappelle sommairement quelques prérogatives majeures de l’auditeur et qui sont tout à fait inédites dans nos métiers habituels :
- Contrat de 6 ans (sauf 1er mandat) comme les CAC ;
- Non révocable en cours de mandat, comme les CAC ;
- Nommé en assemblée générale comme les CAC ;
- Obligation de révélation au parquet des faits délictueux, comme les CAC.
Les obligations pour l’auditeur sont : l’indépendance, l’impartialité mais aussi le secret professionnel. A cela se rajoute, le respect des règles de déontologie des CAC mais aussi de celles des Organismes Tiers Indépendant (OTI) accréditées.
Que doivent mettre en place les entreprises pour anticiper cette nouvelle obligation et être prêtes le moment venu ?
Elles doivent d’abord très vite et massivement s’informer. Le sujet est extrêmement dense et par certains aspects complexe. Il faut être clair.
Ensuite, désigner – si ce n’est pas déjà fait – les personnes compétentes au plus haut niveau de l’entreprise pour structurer en interne la démarche d’établissement du rapport de durabilité. Les grandes entreprises sont certes déjà rodées à la déclaration des performances extra-financières. Mais la CSRD est d’une toute autre ampleur même pour ces entreprises.
Faire appel sans tarder (je recommande dès janvier 2024) à ce que l’on appelle des « préparateurs » dans le jargon de la CSRD. Il faut parfaitement comprendre le contenu et les impacts et surtout être prêt à publier sans retard et sans risque de réserve son rapport de durabilité qui doit être désormais audité.
Les préparateurs sont ceux qui vont conseiller ou assister les entreprises dans l’établissement du rapport de durabilité.
Il faudra ensuite nommer très rapidement l’auditeur en durabilité qui bien évidemment ne peut pas être le préparateur.
Plus en détail, la CSRD et les ESRS renforcent considérablement pour les entreprises la nécessité de maîtriser l’information en provenance des parties prenantes.
Elle introduit le concept de double matérialité qui oblige à inventorier les impacts de l’environnement sur l’entreprise (pour évaluer la matérialité financière telle que la vulnérabilité des actifs d’une entreprise aux effets du changement climatique par exemple) mais aussi les impacts de l’entreprise sur son environnement.
La CSRD oblige les entreprises non seulement à inventorier mais aussi à trier les informations importantes en matière d’impact technique et financier ainsi que de risque et d’opportunité, et ce sur l’ensemble de la chaîne de valeur.
Elle oblige à rendre ces données vérifiables, comparables, compréhensibles. Elle oblige aussi à une cohérence et convergence entre l’extra-financier et le financier. C’est ce que l’on appelle la connectivité.
Un rapport de durabilité pourra par exemple conclure à des nécessités de dévalorisation d’actifs qui devront être anticipées en cohérence dans les comptes financiers. Ceci est susceptible d’impacter très lourdement la valeur d’une entreprise. La stratégie de l’entreprise, son mode de gouvernance ainsi que ses objectifs chiffrés affichés devront faire partie du rapport de durabilité. En résumé, une exigence de transparence publique et de cohérence sur les sujets de durabilité est demandée aux entreprises soumises à la CSRD.
Le but suprême de la CSRD est d’éviter un risque systémique sur les marchés financiers. Ce risque pourrait apparaître du fait que plusieurs entreprises n’auraient pas ajusté à temps leur modèle d’entreprise et pris les mesures suffisantes pour tenir compte des enjeux de durabilité au sein de leur propre business. L’obligation de publier chaque année près de 1100 données environnementales, sociales et de gouvernance oblige à de l’initiative régulière et continue dans le temps, de l’ambition mais aussi du réalisme pour maintenir la confiance des investisseurs et des autres parties prenantes.